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Comment la « crise institutionnelle » actuelle démontre que la Vème République est en pleine santé.

Depuis 1958, la Ve République française est au cœur des débats sur la nature et le fonctionnement des régimes démocratiques modernes. Si elle a été conçue pour répondre aux crises institutionnelles de la IVe République, sa longévité a également nourri des critiques. Nombre de voix, parmi lesquelles celle de Jean-Luc Mélenchon, appellent à une VIe République, accusant la Ve d’être un régime trop présidentialiste, voire autoritaire. Cependant, les récents événements politiques – dissolution de l’Assemblée nationale par le président Emmanuel Macron en juin 2024, composition fragmentée de la nouvelle Assemblée, et chute du gouvernement de Michel Barnier par une motion de censure en décembre 2024 – démontrent que la Ve République est loin d’être figée dans un présidentialisme absolu. Ces événements mettent en lumière la souplesse et l’équilibre des institutions, capables de s’adapter aux contextes politiques en oscillant entre présidentialisme et parlementarisme.


Une « monarchie présidentielle » : la critique de la Vème république

Depuis ses débuts, la Ve République a été perçue comme un régime centré sur le président, une caractéristique voulue par son principal architecte, le général Charles de Gaulle. À l’époque, la priorité était de mettre fin à l’instabilité chronique de la IVe République, marquée par la brièveté des gouvernements (24 en 12 ans) et la paralysie des institutions face aux enjeux majeurs comme la décolonisation. Le général de Gaulle, déjà profondément marqué par l’immobilisme de la IIIe république (ce qui conduira à sa chute et à l’avènement du régime de vichy) voulait en effet un exécutif fort, à même de prendre des décisions rapidement, tout en étant "l’homme de la nation" au-dessus des factions partisanes. Michel Debré, rédacteur principal de la Constitution de 1958, affirmait que le président devait être "le garant de la continuité et de la souveraineté nationale".

Cependant, cette vision a rapidement suscité des critiques. Maurice Duverger, politologue renommé, qualifiait la Ve République de "monarchie républicaine", dénonçant une concentration excessive des pouvoirs dans les mains du chef de l’État. Cette critique a trouvé un écho particulier dans les rangs de la gauche. Jean-Luc Mélenchon, chef de file de La France insoumise, est aujourd’hui l’un des défenseurs les plus ardents d’une VIe République. Pour lui, la Ve République "n’est pas une démocratie, mais une oligarchie dirigée par un seul homme". Il propose de supprimer l’élection présidentielle au suffrage universel et de renforcer les prérogatives du Parlement, estimant que seule une révision complète des institutions peut rétablir un véritable équilibre démocratique. Cette VIeme république serait, selon ses partisans, le « remède » à cette maladie dont les institutions de la Vème serait atteintes. Les évènements récents semblent pourtant montrer l’inverse, pour peu que l’on s’intéresse au fonctionnement des institutions et aux procédures prévues par le Droit Constitutionnel, au-delà de toute considération politique.

Autre point qu’il convient de rappeler, le fait que François Mitterrand, avant de devenir président de la République, partageait cette critique. Dans son célèbre ouvrage Le Coup d'État permanent (1964), il dénonçait les dérives potentielles du présidentialisme, affirmant que la Ve République permettait au président de s’affranchir des contre-pouvoirs parlementaires. Cependant, son propre exercice du pouvoir (1981-1995) a démontré que cette critique pouvait s’infléchir lorsqu’un président dispose d’un soutien parlementaire. Mitterrand lui-même a pleinement utilisé les prérogatives présidentielles pour impulser les réformes économiques et sociales de ses deux premiers septennats. Le plus farouche opposant à cette « monarchie présidentielle » aurait donc pu modifier la constitution au cours de ses 14 années de « règne », mais a pourtant fini par embrasser l’esprit.


La dissolution de l’Assemblée nationale : comment une crise institutionnelle supposée est en réalité signe d’un pouvoir fort.

La décision du président Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale en juin 2024 illustre la capacité de la Ve République à répondre aux crises politiques par des mécanismes institutionnels bien établis. Prévue par l'article 12 de la Constitution, la dissolution est une prérogative essentielle du chef de l’État, permettant de résoudre des blocages politiques en redonnant la parole au peuple. Ce pouvoir a été utilisé pour la première fois par Charles de Gaulle en 1962, après l’opposition de l’Assemblée à sa réforme sur l’élection présidentielle au suffrage universel. Depuis, cet outil a été employé par différents présidents, notamment François Mitterrand en 1981 pour obtenir une majorité alignée avec son programme socialiste.

En 2024, la dissolution était une réponse à une situation d’instabilité politique marquée par une Assemblée nationale ingouvernable issue des législatives de 2022. Le président Macron, confronté à une opposition parlementaire virulente et à une perte de légitimité de son gouvernement, a choisi de convoquer de nouvelles élections législatives. Cette décision, bien qu'accusée par certains d’être une manœuvre politique, pourrait être vue en réalité comme une volonté de réguler les tensions institutionnelles par un arbitrage populaire.

Les élections qui ont suivi ont produit une Assemblée encore plus fragmentée, avec une absence totale de majorité claire. Emettons ici l’hypothèse que ce résultat était pourtant prévisible compte tenu du scrutin européen un mois plus tôt. Ainsi, il semble peu probable que l’Elysée n’ait pas été conscient de l’issue de cette dissolution pour la majorité présidentielle. La situation actuelle pourrait-elle être une volonté plus qu’une maladresse subie ? En tout état de cause, cette configuration a renforcé le rôle du Parlement, obligeant le gouvernement à négocier chaque projet de loi, illustrant ainsi que la Ve République peut s’adapter à des réalités politiques complexes sans sombrer dans une paralysie institutionnelle. Le Président reprenant ainsi un rôle d’arbitre, plus en recul, loin de l’hyper présidentialisme habituellement décrié, au point que certains responsables politiques souhaiteraient faire croire aux électeurs qu’il est le seul mode de fonctionnement de la Vème. Ainsi cette république, critiquée lorsqu’elle fonctionne comme un régime présidentiel et son manque de parlementarisme, serait considérée comme malade et non fonctionnelle lorsque la tendance s’inverse et que le présidentialisme laisse place au parlementarisme, comme il en est question depuis juin 2024.


La nouvelle Assemblée nationale : un laboratoire de « régime politique bicéphale ».

La composition de l’Assemblée nationale issue des législatives de juin 2024 est pourtant un exemple frappant de la diversité politique française, véritable laboratoire venant prouver la solidité des institutions de la Veme. Sans majorité absolue, elle reflète la polarisation croissante du paysage politique. La coalition "Ensemble", soutenant Emmanuel Macron, n’a obtenu qu’une majorité relative, tandis que le Nouveau Front Populaire, rassemblant des forces de gauche, et le Rassemblement National, à l’extrême droite, ont renforcé leur poids. Cette fragmentation oblige le gouvernement à rechercher des alliances ponctuelles et des compromis, redonnant au Parlement un rôle central dans le processus législatif.

Contrairement à l’idée d’un présidentialisme exacerbé, cette configuration met en lumière la capacité des institutions de la Ve République à fonctionner de manière plus parlementaire lorsque les circonstances l’exigent. Les alliances, bien que fragiles, ont permis un fonctionnement démocratique basé sur la négociation, réaffirmant le principe de représentation politique. Cet équilibre rappelle que la Constitution de 1958 n’a pas pour vocation de figer le pouvoir, mais de le rendre flexible en fonction des équilibres politiques.

Ainsi, la Vème république est un régime que l’on pourrait qualifier de « bicéphale », ou encore un « Janus » politique, puisqu’il peut tantôt être présidentialiste, tantôt parlementaire. Ainsi, à l’heure où les gouvernements européens se retrouvent tous bousculés, y compris (et certains diraient même « surtout ») au sein des régimes les plus parlementaires de notre continent (Royaume-Uni, Allemagne,…), la Vème république pourrait être vue comme un système permettant une forme « d’entre deux ».


Chute du gouvernement Barnier : comment le remède devient il maladie ?

La motion de censure adoptée contre le gouvernement de Michel Barnier en décembre 2024 est un événement marquant qui souligne la responsabilité politique de l’exécutif devant le législatif. Cette censure, obtenue grâce à une alliance inhabituelle entre le Nouveau Front Populaire et le Rassemblement National, démontre que le Parlement conserve un pouvoir effectif pour sanctionner un gouvernement ne bénéficiant plus de la confiance des députés. Il montre également que le régime parlementaire en France peut amener des ennemis de toujours à coopérer sur certaines situations, comme la censure d’un gouvernement. La coalition « de fait » (malgré les réticences notamment à gauche) entre le NFP et le RN, quoi qu’improbable sur le papier, illustre les dynamiques (y compris les plus improbables) qui doivent être prises en compte par nous autres, observateurs et analystes de la vie politique.

Cet épisode montre également que, contrairement aux accusations de "monarchie présidentielle", la Ve République offre des leviers significatifs au Parlement pour contrôler l’exécutif. Cette motion de censure, bien qu’elle ait plongé la France dans une situation de crise politique (du moins en apparence), est une illustration de la vitalité démocratique des institutions. Le président Macron, malgré sa position dominante, s’est retrouvé contraint d’accepter la démission de son gouvernement, soulignant ainsi la flexibilité de la Ve République. Lorsque le soutien parlementaire fait défaut, le système bascule vers un fonctionnement plus parlementaire, offrant un contrepoids essentiel au pouvoir présidentiel.


La Ve République : un régime résilient par son caractère hybride.

Les événements récents démontrent que la Ve République est bien plus qu’un régime présidentialiste. Elle est un système hybride, capable de fonctionner comme un régime présidentiel fort lorsque le président bénéficie d’un soutien populaire et parlementaire, mais aussi comme un régime parlementaire lorsque ce soutien s’affaiblit. Cette souplesse, au cœur des intentions du général de Gaulle, permet au système de s’adapter aux réalités politiques et sociétales, tout en garantissant la stabilité institutionnelle.

La dissolution de l’Assemblée nationale, la composition diversifiée du Parlement et la motion de censure contre le gouvernement Barnier montrent que la Ve République repose sur un équilibre subtil entre présidentialisme et parlementarisme. Elle combine la capacité d’action rapide nécessaire dans les moments de crise avec les garanties démocratiques d’un contrôle parlementaire. En cela, elle répond aux exigences d’un système démocratique moderne, où la souveraineté populaire reste la clé de voûte.


Conclusion - La Ve République : de la crise institutionnelle annoncée au simple fonctionnement logique de la démocratie parlementaire.

Les événements politiques récents en France – dissolution de l’Assemblée nationale, fragmentation parlementaire et censure du gouvernement – ont illustré la souplesse et la robustesse de la Ve République. Loin de correspondre aux caricatures d’une "monarchie présidentielle", ce régime prouve sa capacité à s’adapter aux réalités politiques, sociales et institutionnelles. Ces mécanismes, bien que souvent critiqués, offrent un cadre où les rapports de force sont rééquilibrés au gré des dynamiques politiques et de la volonté populaire.

La dissolution de juin 2024 a permis de redonner la parole aux citoyens dans un contexte d’impasse politique, confirmant que la souveraineté populaire reste la pierre angulaire de ce régime. La fragmentation de la nouvelle Assemblée nationale a montré que le Parlement peut retrouver un rôle central lorsque le président perd sa majorité, rappelant que la Ve République n’est pas figée dans un présidentialisme omnipotent. Enfin, la censure du gouvernement Barnier démontre que le législatif conserve des leviers de contrôle sur l’exécutif, renforçant ainsi le principe de responsabilité politique.

Plus qu’un simple régime hybride, la Ve République est une architecture institutionnelle "protéiforme" : elle peut être présidentialiste lorsque le contexte l’exige, notamment pour permettre une action rapide et décisive, mais redevient parlementaire lorsque la représentation politique se fragmente et appelle à la négociation. C’est précisément cette flexibilité qui en fait un système résilient, capable de préserver la stabilité démocratique tout en répondant aux crises politiques.

À une époque où les démocraties occidentales sont souvent accusées d’être en crise, la Ve République française offre un exemple d’institutions adaptées à des contextes changeants, alliant l’efficacité de l’exécutif et la légitimité du législatif. Plutôt qu’un argument en faveur d’une VIe République, les récents événements soulignent la nécessité de préserver et de valoriser ce modèle unique, qui garantit à la fois l’action et le débat. En combinant ces deux dimensions, la Ve République s’impose comme un modèle équilibré et moderne, toujours en évolution mais fermement enraciné dans les principes de la démocratie représentative.

Il faut donc mettre fin à cette forme de schizophrénie sociétale, dans laquelle il nous est régulièrement souligné que le régime présidentialiste de la Vème est une maladie pour la politique française, et que le remède serait le passage vers un régime parlementaire (et donc une VIeme république), pour finalement expliquer aujourd’hui que l’on serait dans une grave crise institutionnelle de la Vème, du fait du basculement du pouvoir vers un parlementarisme plus prononcé, venant pourtant contrebalancer le régime présidentiel en perte de soutien populaire.

Auteur de la publication:


Adrien MANNIEZ

Docteur en Science Politique

Chercheur politiques publiques, analyse de l'Etat, relations internationales et des politiques de défense.

Consultant et conférencier, il est également fondateur de l'institut Insight.



 

Institut InSight 5 décembre 2024
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