Introduction
La Ve République, conçue pour éviter les blocages institutionnels et garantir la stabilité politique, se trouve aujourd’hui confrontée à une crise inédite. La dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron en juin 2024, conséquence d’une situation parlementaire devenue ingérable aux yeux du Président de la République, a temporairement redéfini les rapports de force entre l’exécutif et le législatif. Si cette dissolution visait à clarifier le paysage politique, les élections qui ont suivi n’ont fait que renforcer la fragmentation de l’Assemblée nationale, aboutissant à une configuration encore plus instable.
Par suite, les résultats des législatives ont produit un Parlement éclaté, où aucune majorité absolue n’a pu émerger. La coalition présidentielle "Ensemble" a perdu son rôle dominant, tandis que les oppositions (qu’il s’agisse du Nouveau Front Populaire à gauche ou du Rassemblement National à droite) ont consolidé leurs positions. Cette polarisation rend tout projet législatif complexe, chaque réforme devenant un champ de bataille où les alliances se construisent et se défont au gré des intérêts partisans. En ce sens, la pratique parlementaire depuis l’été 2024 en France ressemble bien plus à celle que l’on connait déjà dans d’autres pays, notamment outre Rhin, et dans lesquels la construction d’une coalition forte est essentielle pour mettre en place des réformes politiques, ou encore former un gouvernement.
Cependant en France, la pratique du parlementarisme n’a traditionnellement pas connu une telle situation, du moins pas depuis la IIIe et IV République. Ainsi, dans ce contexte de régime parlementaire « de fait », le verrou constitutionnel de l’article 12, qui interdit toute nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale pendant un an après une dissolution précédente, prive le président de la République d’un levier traditionnel de la Ve République (régime habituellement à tendance plus présidentialiste). Emmanuel Macron, dont le mandat repose sur une capacité à arbitrer les conflits institutionnels, se retrouve donc contraint de composer avec une Assemblée nationale souveraine, indépendante, à la limite de la toute puissance (même si les différentes forces politiques qui y sont représentées peinent régulièrement à trouver un accord entre eux, en dehors de leur volonté commune de sanctionner les différents gouvernements qui leurs sont soumis). Ce verrou limite également les marges de manœuvre du gouvernement, incapable de menacer les députés d’un retour devant les électeurs en cas de blocage. En effet, la Ve République est construire autour d’un système complexe de pouvoirs et contre pouvoirs. Et si, habituellement, l’Assemblée Nationale souhaitant sanctionner un gouvernement peut subir à son tour une sanction de dissolution immédiate pour un retour devant les urnes, ici le manque de contrepouvoir crée un pouvoir asymétrique.
C’est dans ce contexte de tension politique que Michel Barnier, premier chef de gouvernement de la nouvelle législature, a été renversé en décembre 2024 après une motion de censure. Son échec a révélé l’impossibilité de gouverner sans une majorité claire et l’incapacité de concilier des intérêts divergents au sein de l’hémicycle. Il a également montré que la France était actuellement difficile à réformer, et que le moindre projet de Loi, y compris budgétaire, risait d’être systématiquement d’être à minima bloqué, ou censuré par les députés. Pour remplacer Barnier, Emmanuel Macron a nommé François Bayrou, une figure politique du centre réputée pour son expérience et son sens du dialogue. Toutefois, la tâche qui attend le nouveau Premier ministre est titanesque : il doit gouverner dans un climat d’extrême défiance et mener des réformes ambitieuses sans majorité parlementaire stable. Compte tenu des précédents politiques, cette situation semble difficilement tenable sur la distance. Et il est facile d’imaginer dans les semaines à venir, la chute de ce nouveau gouvernement.
Cette situation soulève plusieurs difficultés. La première étant de savoir comment François Bayrou peut-il gouverner et proposer de nouveaux projets de Loi (qu’il s’agisse du budget, ou d’autres projets de réforme) alors que les groupes majoritaires à l’Assemblée déclarent vouloir le censurer. Deuxièmement, quels sont les outils institutionnels et juridiques permettant au nouveau premier ministre de défendre son gouvernement face aux assaults d’un parlement qui ne craint aucune dissolution, du moins jusqu’à la rentrée 2025 (si tenté qu’une nouvelle dissolution prenne lieu).
Dans cette situation institutionnelle complexe, il nous apparait que l’outil préféré du Général de Gaulle, père fondateur de la Ve République, puisse être le dernier outil permettant de faire face à une Assemblée hostile. Ainsi, le recours au référendum, prévu par l’article 11 de la Constitution, pourrait devenir l’outil central de sa stratégie pour contourner les blocages parlementaires et légitimer les réformes économiques et sociales qu’il estime nécessaires au redressement du pays.
Loin d’être une simple curiosité institutionnelle, le référendum pourrait offrir une solution démocratique et pragmatique à une crise politique qui met à rude épreuve les équilibres de la Ve République. Mais cette démarche, bien que porteuse de possibilités, n’est pas sans risques, et son succès dépendra autant des choix stratégiques de François Bayrou que de sa capacité à convaincre le président Emmanuel Macron d’en partager la responsabilité.
Cet article explore de quelle manière le référendum peut être mobilisé pour régler la crise institutionnelle dans laquelle la présidence Macron et ses différents gouvernements semblent s’enfoncer ces derniers mois.
I. La paralysie institutionnelle et ses conséquences
Un Parlement sans majorité stable
Les élections législatives de 2024 ont abouti à une configuration parlementaire fragmentée, symptomatique des divisions politiques profondes qui traversent la société française depuis plusieurs années. Aucun bloc politique n’a réussi à obtenir une majorité absolue, plongeant l’Assemblée nationale dans une situation d’instabilité chronique. En cela, la situation actuelle nous donne peut-être un exemple de ce que serait une Assemblée Nationale élue par un scrutin à la proportionnelle. La coalition présidentielle "Ensemble", qui avait dominé la précédente législature, a vu son poids s’amenuiser, passant d’une majorité relative fragile à une minorité influente mais insuffisante pour gouverner seule. À gauche, le Nouveau Front Populaire, regroupant des partis socialistes, écologistes et La France insoumise, a consolidé sa position comme la première force d’opposition en tant que coalition de partie (avec le risque que cette coalition éclate en cours de route, ce qui reviendrait à perdre cette position). À droite, le Rassemblement National a enregistré des résultats significatifs, renforçant sa capacité à peser sur les débats parlementaires en devenant le premier parti « unique » (donc hors coalition de partis) d’opposition. Enfin, les Républicains, malgré une légère progression, restent dans une position ambivalente, oscillant entre une opposition constructive et une alliance tacite avec certains projets de la majorité.
Cette fragmentation des blocs politiques rend impossible la formation d’une coalition stable. Chaque projet législatif devient un exercice d’équilibriste, nécessitant de multiples négociations avec des groupes parlementaires aux intérêts divergents. Cette instabilité structurelle complique l’adoption de réformes ambitieuses, car les alliances se forment et se délitent au gré des opportunités politiques, transformant le Parlement en un théâtre de négociations sans fin, qui vient in fine dénaturer totalement chaque projet de réforme, en vue de tenter de satisfaire chaque groupe.
Le verrou constitutionnel de l’article 12
L’une des spécificités de la Ve République réside dans l’article 12 de la Constitution, qui confère au président de la République le pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale. Ce mécanisme, pensé comme un moyen de résoudre les crises politiques, permet de redonner la parole aux électeurs lorsque le dialogue entre le législatif et l’exécutif devient impossible. Cependant, cet outil est encadré par une limite temporelle stricte : il est interdit de dissoudre l’Assemblée dans l’année qui suit une dissolution précédente. La dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron en juin 2024, décidée par ce dernier afin de régler une situation de blocage institutionnel selon ses propres mots, a également verrouillé cette option pour les douze mois suivants. Jusqu’à l’été 2025, ni le président ni le Premier ministre ne peuvent menacer les députés de renvoyer l’ensemble de l’hémicycle devant les urnes.
Cette impossibilité de recourir à la dissolution a des conséquences majeures sur l’équilibre des pouvoirs. L’Assemblée nationale, fraîchement élue, peut se considérer dès lors investie d’une légitimité démocratique incontestable, renforçant sa capacité à défier le gouvernement. En l’absence de la menace de dissolution, les députés sont plus enclins à adopter des postures d’opposition systématique et partisanes, sachant qu’ils ne risquent pas de perdre leur siège dans l’immédiat. Mieux, dans l’hypothèse d’une future dissolution, ils pourraient se servir de ces oppositions pour venir flatter leurs bases électorales et améliorer leur score durant le prochain scrutin, qu’il soit législatif ou présidentiel. Pour l’exécutif, ce verrou limite considérablement les marges de manœuvre et renforce la dépendance du gouvernement à des compromis fragiles et instables.
Les leçons de l’échec du gouvernement Barnier
La chute de Michel Barnier en décembre 2024, gouvernement le plus court depuis 1958, illustre parfaitement les limites de la stratégie classique de la pratique de la constitution de la Ve République dans ce contexte institutionnel si particulier. Nommer un Premier ministre expérimenté et issu de la droite traditionnelle semblait initialement un choix pragmatique pour Emmanuel Macron. Barnier, ancien ministre et négociateur en chef du Brexit, semblait pourtant posséder l’expertise et l’autorité nécessaires pour mener des réformes. Cependant, son gouvernement a rapidement été confronté à une opposition forte. Les premières tentatives de réforme économique, visant notamment à réduire les dépenses publiques et à moderniser le système fiscal (sous pression de la dette et des marchés financiers), ont suscité une levée de boucliers à gauche comme à droite. Les oppositions, malgré leurs divergences idéologiques, ont trouvé un terrain d’entente (conjoncturel) dans leur rejet des projets du gouvernement. La motion de censure qui a renversé Barnier a été votée par une coalition qui certes paraissait improbable il y a encore quelques mois (réunissant le Nouveau Front Populaire, le Rassemblement National et une poignée de députés centristes mécontents), mais qui semble devenir la norme pour les mois à venir, et qui pourrait se prolonger jusqu’aux prochaines élections présidentielles. Dans tous les cas, l’échec de Barnier montre que les mécanismes traditionnels de gouvernance, basés sur le fait majoritaire en cas de majorité totale, et le dialogue avec les différentes forces politiques dans le cadre d’une majorité relative (telle que nous la connaissions depuis 2022), sont insuffisants dans la situation actuelle. Une telle situation réclame donc une stratégie politique inédite, en s’appuyant sur les textes juridiques offerts par la Constitution.
Nous l’évoquions déjà dans un article consacré à la chute du gouvernement Barnier en début de mois de décembre 2024, la leçon est claire : dans un contexte où la majorité relative ne suffit plus à gouverner, il est nécessaire d’adopter une stratégie alternative pour légitimer l’action gouvernementale. En l’absence de la dissolution, il nous semblait déjà à l’époque que l’appel au référendum pourrait représenter cette alternative pour le nouveau gouvernement Bayrou, lui permettant ainsi de contourner les blocages parlementaires et de s’appuyer directement sur le soutien populaire pour mener les réformes que l’exécutif estime essentielles au pays.
II. Le référendum : un outil démocratique pour contourner la représentation nationale
Des origines du référendum à son rôle dans la Ve République
Le référendum occupe une place centrale dans l’architecture institutionnelle de la Ve République, conçue et utilisée à plusieurs reprises par le général de Gaulle pour résoudre les crises politiques et surmonter les blocages institutionnels. Cet outil démocratique, prévu à l’article 11 de la Constitution, permet au président de la République de soumettre directement une question au peuple, contournant ainsi les institutions législatives lorsque celles-ci ne parviennent pas à s’accorder, afin de questionner directement le citoyen français et dépasser la simple lutte partisane.
Historiquement, le référendum a été utilisé dans des moments clés pour légitimer des choix politiques majeurs. Dès 1958, il a servi à faire adopter la nouvelle Constitution, établissant la Ve République elle-même. En 1962, de Gaulle a de nouveau recours à cet outil pour faire approuver l’élection du président au suffrage universel direct, un changement fondamental du système politique français, qui lui permettra également de contourner la procédure de destitution lancée par le Sénat (organe prévu à l’origine pour élire le Président de la Vème). Preuve s’il en est que le référendum peut permettre d’obtenir potentiellement un soutien favorable à un exécutif mis en danger par le parlement.
Tous ces précédents illustrent la vision gaullienne d’une démocratie où le peuple, ultime détenteur de la souveraineté, peut être directement sollicité lorsque les institutions traditionnelles échouent à résoudre les défis du moment, ou que le parlement ne permet plus de « parlementer ».
Sur le plan juridique, l’article 11 de la Constitution définit les conditions de mise en œuvre du référendum. Il peut être initié sur proposition du gouvernement ou du Parlement, mais doit être validé dans tous les cas par le président de la République (nous excluons ici l’hypothèse d’un référendum d’initiative populaire, sujet largement débattu notamment durant la crise des gilets jaunes de 2018). Les questions soumises doivent porter sur des domaines spécifiques : l’organisation des pouvoirs publics, la politique économique ou sociale, ou encore des engagements internationaux. Il peut s’agir d’une question sur un sujet précis, ou d’une demande plus générale.
Pourquoi le référendum est pertinent dans ce contexte ?
Dans l’hypothèse où le gouvernement Bayrou tenterait de soumettre au vote devant l’assemblée n’importe quel texte visant à réformer l’Etat, deux possibilités :
· Soit le gouvernement suit les « injonctions » des différents partis politiques, tente le compromis, et vide de son contenu le projet initial, au point que le nouveau texte voté par l’Assemblée n’aura peu ou aucun impact sur l’Etat.
· Soit le gouvernement engage sa responsabilité par le biais de l’article 49.3, et subira alors le même destin que son prédécesseur, en étant frappé par la censure du projet et la démission du gouvernement qui en est à l’origine. Tel est le cas pour l’actuel premier ministre François Bayrou, mais tel en serait probablement le cas dans l’hypothèse où ce dernier chuterait et un nouveau premier ministre, qu’il soit issu de la droite, du centre, mais aussi de la gauche, serait nommé par le Président Macron.
Dans le contexte actuel de paralysie institutionnelle, le référendum apparaît comme une solution démocratique et pragmatique pour surmonter les blocages imposés par une Assemblée nationale fragmentée. Ce mécanisme permet de transcender les divisions partisanes et de redonner directement la parole aux citoyens.
- Trancher sur des réformes importantes : les réformes économiques et sociales envisagées par François Bayrou, telles que la réduction de la dette publique ou le redressement de l’économie française, nécessitent un large consensus pour être mises en œuvre. Or, la configuration actuelle de l’Assemblée rend tout compromis structurel quasiment impossible. Le référendum offre une voie pour légitimer ces réformes auprès du peuple, leur conférant une autorité démocratique supérieure aux décisions parlementaires.
- Contourner une Assemblée nationale divisée : dans un Parlement marqué par des oppositions systématiques et une incapacité à construire des majorités stables, le référendum permet de contourner un blocage législatif sans pour autant remettre en question la souveraineté parlementaire. Il s’agit de redonner au peuple, source ultime de légitimité, le pouvoir de trancher sur des enjeux qui dépassent les clivages partisans.
De plus, l’Assemblée nationale, bien qu’émanant d’une élection récente, se voit souvent critiquée pour son inefficacité dans la résolution des problèmes nationaux, y compris au sein de l’opinion publique. En consultant directement les Français, le gouvernement Bayrou pourrait démontrer que l’action politique peut dépasser les jeux d’appareil pour répondre aux attentes des citoyens, et jouer la carte de la démocratie directe, à l’image des « votations » ayant lieu dans certains pays comme la Suisse, symbole de la recherche du compromis populaire.
Sur quoi le(s) referendum(s) devrai(en)t porter ?
Les spécialistes de la réforme de l’Etat, et autres constitutionnalistes, s’accorderont probablement tous avec nous pour dire que la formulation précise de la question (ou des questions) posée aux français via le referendum présente en soit une véritable question, tant politique que juridique. Il est en effet impensable de demander aux français de se prononcer sur chaque point précis du futur projet de réforme fiscale de l’Etat. Pas plus qu’il ne semble possible de convoquer aux urnes les électeurs chaque semaine ou mois pour se positionner sur chaque nouvelle réforme voulue par le gouvernement. L’idée d’une démocratie directe à l’échelle nationale et pour chaque sujet est donc irréaliste.
Quid donc de la formulation de la ou des questions soumises au peuple français ? Pour maximiser ses chances de succès, le référendum devrait porter sur des questions claires et consensuelles, évitant les débats polarisants qui pourraient détourner l’attention des enjeux fondamentaux. Le sujet doit être assez large pour laisser des marges de manœuvre au pouvoir executif, mais assez précis pour avoir une légitimité aux yeux du peuple sur les projets souhaités. Une question du type « soutenez vous le gouvernement Bayrou », pour se subroger au vote de confiance de l’assemblée nationale parait peut probable, ni utile. En revanche, obtenir un accord direct du citoyen pour un projet d’assaisnissement des finances publiques semble tout à fait opportun. Ainsi la formulation d’une question de ce type et susceptible de recueillir un large soutien populaire pourrait, par exemple se matérialiser de la manière suivante : « Approuvez-vous la volonté du gouvernement de redresser les finances publiques et de réduire la dette de l’État ? ». Cette formulation met en avant l’urgence économique tout en appelant à la volonté d’effectuer un effort collectif. Elle permettrait également au gouvernement de légitimer des réformes budgétaires potentiellement impopulaires, mais nécessaires pour stabiliser les comptes publics. Une autre formulation pourrait être : « Etes-vous favorable à un programme de réformes pour relancer l’économie française ? ». Plus générale, cette version pourrait inclure des mesures variées comme la simplification administrative, la modernisation des infrastructures ou des incitations à l’innovation, offrant une vision globale du projet gouvernemental. Ces questions référendaires présenteraient l’avantage de parler directement aux citoyens, en les impliquant dans les décisions stratégiques pour l’avenir du pays.
Impact d’un référendum réussi
Un référendum approuvé par une majorité des Français aurait plusieurs effets politiques et institutionnels majeurs, tant pour le gouvernement que pour le système parlementaire :
Toute d’abord une légitimation populaire des réformes. Le succès d’un référendum conférerait au gouvernement Bayrou une autorité démocratique directe, surpassant celle des oppositions parlementaires. Ce soutien populaire permettrait de relancer les réformes nécessaires tout en consolidant la position du Premier ministre face aux critiques. Ainsi il semblerait peut probable que l’Assemblée ose venir censurer un gouvernement sur une politique qui vient d’être validée directement par son supérieur hiérarchique, qui n’est autre que l’électeur français.
Deuxième effet du referendum, une mise en difficulté des oppositions parlementaires. Les oppositions, qu’elles soient de gauche ou de droite, se retrouveraient dans une situation délicate. En censurant un gouvernement validé par le peuple, elles risqueraient de se placer en contradiction avec la volonté populaire qu’elles prétendent défendre. Cette dynamique pourrait affaiblir leur crédibilité et limiter leur capacité à s’opposer aux réformes futures, sur la base de simples luttes partisanes.
Enfin, le recours réussi au referendum permettrait un renforcement de la Ve République, en redonnant la parole au peuple pour résoudre une crise institutionnelle, tout en renouant avec l’esprit originel du père fondateur de la Ve République. Cette démarche renforcerait l’idée que ce régime, souvent critiqué pour son présidentialisme, peut également être un espace d’expression démocratique directe dans les moments de blocage. Les débats sur le passage à une 6eme république comme « seul remède » à la crise actuelle pourraient être réduits au silence. Plus encore, le referendum mettrait fin à la question de la démission du président de la république comme « seule issue à cette situation ». Notons à cette occasion que l’hypothèse de la démission présidentielle ne réglerait malheureusement en rien la situation de crise de la Vème république. D’abord parce que l’élection d’un nouveau président ne permettrait pas pour autant une dissolution précoce de l’assemblée, du moins pas avant Aout ou Septembre 2025. Le nouveau président devrait donc composer avec une assemblée difficile et récolterait un pays difficilement gouvernable. Ensuite parce que les expériences législatives de 2022 et 2024 ont montré que ce n’est pas parce que le peuple français s’entend sur le nom du chef de l’Etat qu’ils s’entendent ensuite sur le fait de lui donner une majorité gouvernable au parlement. Enfin, dans la situation politique actuelle, la démission d’un Président faisant face à un parlement hostile viendrait créer un précédant juridique dans la pratique de la politique française, exposant le chef de l’Etat à la création d’une responsabilité politique face à l’Assemblée Nationale. Or dans la pratique de la démocratie, de son invention en Angleterre à l’époque de John Locke jusqu’à nos jours, seul le chef de gouvernement doit être responsable politiquement. Et certes, le Général de Gaulle a pris la décision de démissionner en son temps, mais il s’agissait d’une responsabilité politique vis-à-vis du peuple français, et non du parlement.
Certes, le référendum, loin d’être une solution de facilité, représente une démarche audacieuse et risquée politiquement. Mais dans un contexte où l’Assemblée nationale est incapable de fonctionner efficacement, il pourrait devenir l’outil le plus puissant pour François Bayrou. Voire l’unique moyen de se maintenir au pouvoir et mener à bien les réformes qu’il ambitionne. Ce n’est d’ailleurs probablement pas un hasard si le Président de la République a, lors de ses vœux aux français, indiqué qu’il solliciterait probablement les électeurs à se prononcer sur des sujets importants au cours de l’année 2025.
III. Les défis politiques du recours au référendum
La nécessité de l’accord présidentiel
Le recours au référendum, bien que prévu par l’article 11 de la Constitution, repose sur une condition essentielle : l’accord du président de la République. François Bayrou, en tant que Premier ministre, peut proposer l’idée d’un référendum, mais son initiative doit être validée par Emmanuel Macron pour être mise en œuvre. Ce mécanisme place la relation entre le Premier ministre et le Président dans un lien de subordination. Et l’on sait que la relation entre François Bayrou et Emmanuel Macron est complexe, marquée par des années de coopération ponctuée de divergences. F. Bayrou, figure historique du centrisme français, a joué un rôle clé dans l’élection de Macron en 2017 en lui apportant le soutien décisif du MoDem. Cependant, leur vision du pouvoir diffère : Bayrou privilégie le consensus et la négociation, tandis que Macron adopte souvent une approche plus verticale de la politique française.
Dans ce contexte, convaincre Emmanuel Macron de valider un référendum s’annonce difficile. Le président pourrait hésiter pour plusieurs raisons. D’une part, un référendum expose l’exécutif à un risque majeur : l’échec. Si la question posée est rejetée par les Français, cela affaiblirait considérablement le gouvernement Bayrou le conduisant probablement à la démission, et toucherait par effet de ricochet, la présidence de Macron. Il conviendrait donc pour le gouvernement actuel d’offrir des garanties à Emmanuel Macron que l’organisation d’un referendum ne se transformerait pas en un vote de rejet du peuple français de sa personne, ou de sa politique, tel qu’il en a pu être le cas lors du referendum organisé par le Général de Gaulle en 1969, ou plus récemment celui de 2005 au sujet de la réforme des institutions européennes, et qui avait conduit à la démission du gouvernement Raffarin et à l’affaiblissement du pouvoir de Jacques Chirac, pourtant élu 3 ans avant seulement avec une large majorité. Le Premier ministre doit donc convaincre le chef de l’Etat qu’il fera tout son possible pour que le referendum ne se transforme pas en plébiscite contre sa personne.
A l’inverse, un référendum réussi pourrait également poser un problème de contrôle politique pour le Président. En permettant au Premier ministre de s’imposer comme le porte-voix des réformes validées par le peuple, Emmanuel Macron risquerait de voir son rôle réduit à celui d’un arbitre en retrait, à l’image d’un président de la IVe république, ou encore au rôle joué par les présidents italiens ou allemands. Plus encore, la direction du parti présidentiel pourrait y voir un risque de perdre le contrôle du vote centriste, en laissant s’imposer une nouvelle figure unifiante et rassurante pour l’électeur en la personne de François Bayrou, ce qui serait un frein à l’arrivée du candidat issu du camp macroniste au second tour des élections présidentielles de 2027.
Ce dilemme met en lumière les enjeux de pouvoir entre le président et le Premier ministre. Si Macron accepte le référendum, il doit être prêt à en assumer les conséquences, qu’elles soient positives ou négatives. En revanche, s’il refuse, il pourrait apparaître comme un obstacle à une solution démocratique, ce qui affaiblirait sa propre légitimité dans un contexte déjà tendu.
La question subsidiaire restant de savoir, est ce que le Président Emmanuel Macron peut véritablement risquer la censure du gouvernement Bayrou ? Car si ce dernier venait à tomber, il serait probablement contraint de nommer cette fois un chef d’exécutif issu de la gauche (même modérée), ce dernier serait très probablement à son tour sanctionné, et la dernière solution avancée par les partis politiques serait, sans nul doute, la demande de démission du Président Macron, et pourquoi pas, l’instauration d’une nouvelle République. La bataille pour le referendum est donc tout à la fois une manière pour le Président actuel de sauver sa position, mais plus encore, de garantir la viabilité et la continuité des institutions de la Vème république, raison même de son mandat confié par le peuple français !
Les risques d’un échec référendaire
Si le referendum peut apparaitre comme l’unique solution de « sauver le soldat Bayrou », soulignons cependant que son organisation comporte des risques politiques considérables, tant pour François Bayrou que pour Emmanuel Macron.
Pour François Bayrou et son gouvernement d’abord. Nous l’évoquions précédemment, en cas de rejet de la question posée, le gouvernement Bayrou perdrait toute légitimité démocratique, déjà affaiblie par l’absence d’une majorité claire à l’Assemblée, et du refus de se soumettre au vote de confiance devant les députés. Cet échec serait interprété comme un désaveu direct de la politique envisagée, rendant toute tentative de gouvernance et, par suite, du maintien du gouvernement actuel, totalement impossible. Les oppositions parlementaires, renforcées par ce rejet populaire, n’auraient aucune difficulté à déposer une nouvelle motion de censure, qui aboutirait probablement à la chute du gouvernement.
Pour Emmanuel Macron ensuite, un échec référendaire aurait également des répercussions politiques majeures. En validant l’initiative, Macron se serait engagé dans une démarche politique qu’il ne pourrait se permettre de voir échouer. Un rejet de la proposition serait perçu comme un désaveu non seulement pour le Premier ministre, mais aussi pour le président qui aurait soutenu cette voie. Cela fragiliserait son autorité, tant au sein de sa majorité qu’aux yeux de l’opinion publique, et pourrait provoquer une crise de légitimité à mi-mandat. Les partis de l’opposition se serviraient du résultat comme d’un plebiscite à charge, indiquant que « les français ont réclamé le rejet total du président et une demande de démission par voie démocratique directe ». Et ce dernier argument pourrait être considéré comme définitivement légitime, compte tenu du précédent créé par le Général de Gaulle en son temps.
Dans l’hypothèse où le Président persisterait à conserver sa position au pouvoir, un échec référendaire mettrait en lumière les limites de la stratégie présidentielle, renforçant l’idée que Macron est incapable de gérer les crises institutionnelles actuelles, et qu’il n’est plus en mesure de garantir la continuité des institutions. Dans un contexte où ses marges de manœuvre sont déjà limitées par une Assemblée nationale hostile, un tel revers affaiblirait considérablement sa capacité à gouverner, et son mandat pourrait se voir paralysé, voire raccourci, pourquoi pas via le biais (puisqu’à partir de là, nous ne sommes que dans le spéculatif) d’une procédure de destitution du président.
Une campagne de communication essentielle
En tout état de cause, les partis politiques verront d’un très mauvais œil la volonté de l’executif de venir court circuiter l’assemblée nationale via le recours au referendum pour créer un vote de confiance, de fait, directement devant l’électeur. Nul doute que les formations politiques majoritaires profiteraient du délai d’organisation du referendum pour rentrer dans une campagne d’opposition totale à la manœuvre politique du Président et de son Premier Ministre, en appelant, par exemple, à un rejet du referendum pour « sanctionner le Président Macron ».
L’idée d’une transformation de la consultation référendaire en plébiscite est loin d’être absurde. D’abord parce que si les français parviennent à se mettre d’accord durant chaque second tour de la présidentielle ces dernières années, c’est avant tout par un rejet d’une personne face à une autre, plus que par un adoubement du candidat élu sur la base de son programme. Et il suffit de regarder les chiffres de chaque premier tour pour en avoir la confirmation. La maxime traditionnelle indiquant « au premier tour on choisit, au second on élimine » vient corroborer notre analyse ici. Par suite, il parait bien plus facile de proposer le rejet d’un individu seul, durant un referendum par exemple, sans que cela ne l’oppose à un autre candidat qui viendrait cristalliser un rejet encore plus fort de la part des électeurs, comme il a pu en être le cas durant les élections présidentielles précédentes.
Ensuite, parce que nous avons déjà, dans l’histoire récente, vue des consultations se transformer en rejet de la personne, sans pour autant que les électeurs face un rejet de la question proposée. Souvenons nous, par exemple, le « oui » du peuple britannique sur la question du Brexit, qui s’est transformé rapidement en rejet du Premier ministre en place à l’époque. Tant et si bien que les différents sondages qui s’en sont suivis depuis, montrent une large majorité de britanniques déclarant aujourd’hui qu’ils ont voté « oui » à leur retrait de l’Union Européenne simplement pour censurer le gouvernement en place, mais qu’un nouveau vote aujourd’hui soutiendrait, à une large majorité, le retour du Royaume Uni au sein de l’UE.
Pour toutes ces raisons, et afin de maximiser les chances de succès, le recours au référendum devrait être préparé minutieusement, notamment par une campagne de communication bien orchestrée.
- Pédagogie auprès des citoyens : l’un des principaux défis consiste à expliquer de manière claire et détaillée aux Français les enjeux du référendum. Une question portant sur des réformes économiques, comme la réduction impérative de la dette publique ou le redressement de l’économie, doit être accompagnée d’un effort de pédagogie pour en démontrer l’urgence, les bénéfices concrets pour l’électeur, et la répartition au sein des différentes couches sociales et économiques françaises dans cet effort financier. François Bayrou et son gouvernement devront se mobiliser pour présenter les réformes non pas comme des contraintes imposées, mais comme des solutions nécessaires pour assurer l’avenir du pays et le maintien de l’Etat providence actuel. Cette campagne devra également anticiper les critiques des oppositions, qui ne manqueront pas d’accuser le gouvernement de chercher à contourner le Parlement. Il serait alors essentiel de présenter le choix du référendum comme un outil démocratique et légal, inscrit dans la Constitution. En somme, comme une réponse directe aux attentes des citoyens et au blocage parlementaire actuel.
- Le rôle des médias et de l’opinion publique : les médias, en tant que quatrième pouvoir, joueront un rôle central dans la réussite ou l’échec du référendum. Ils seront à la fois le relais des messages gouvernementaux et le théâtre des débats politiques. Une couverture médiatique large, mettant en avant les arguments du gouvernement en invitant les différents ministres régulièrement afin de présenter le projet de réforme, pourrait influencer positivement l’opinion publique. À l’inverse, une campagne médiatique dominée par les critiques des oppositions risquerait de saper la démarche. L’opinion publique sera également un facteur déterminant. Dans un contexte de méfiance généralisée envers les élites politiques, il sera crucial pour le gouvernement de se présenter comme un acteur transparent et honnête, cherchant à résoudre les crises institutionnelles par des moyens démocratiques directs, sans intermédiaire. Une approche inclusive, impliquant des échanges directs avec les citoyens (par exemple via des réunions publiques ou des plateformes numériques), pourrait renforcer l’adhésion populaire au projet référendaire.
Ainsi le recours au référendum, bien qu’il offre une solution potentielle pour surmonter la paralysie institutionnelle, n’est pas sans défis politiques majeurs. La nécessité de convaincre Emmanuel Macron, les risques d’un échec référendaire et l’importance d’une campagne de communication efficace sont autant d’obstacles à surmonter. Cependant, si ces défis sont relevés avec succès, le référendum pourrait non seulement sauver le gouvernement Bayrou, mais également réaffirmer la capacité de la Ve République à répondre aux crises par des moyens démocratiques.
IV. Les scénarios possibles en cas de rejet de la solution référendaire
La chute possible du gouvernement Bayrou
Si François Bayrou ne parvient pas à mener à bien ses réformes, que ce soit par voie référendaire ou par des négociations parlementaires, son gouvernement sera exposé à une motion de censure probable.
Une nouvelle motion de censure et la perte de confiance des députés : Dans un Parlement aussi fragmenté, où les oppositions sont nombreuses et déterminées, il suffirait d’un projet de loi contesté pour rallier les différents groupes contre le gouvernement. Une motion de censure, qu’elle soit portée par le Nouveau Front Populaire ou soutenue par le Rassemblement National, pourrait rapidement recueillir les voix nécessaires pour renverser le gouvernement Bayrou. La chute d’un deuxième gouvernement en l’espace de quelques mois serait un événement sans précédent sous la Ve République. Elle marquerait un échec cuisant pour l’exécutif, illustrant l’impossibilité de gouverner dans un contexte de blocage institutionnel.
Conséquences pour Emmanuel Macron : une perte de crédibilité et de marges de manœuvre. La chute du gouvernement Bayrou affaiblirait considérablement Emmanuel Macron, qui serait perçu comme incapable de stabiliser la situation politique. Après l’échec de Michel Barnier, un deuxième revers mettrait en doute sa capacité à choisir des Premiers ministres capables de gérer une Assemblée nationale divisée. En outre, cet échec limiterait ses options pour la suite de son quinquennat. La nomination d’un troisième Premier ministre deviendrait un défi politique majeur, car Macron aurait épuisé ses alliés traditionnels à droite et au centre. Sa capacité à imposer un cap politique serait encore plus restreinte, le contraignant à adopter une posture défensive pour le reste de son mandat.
L’hypothèse d’un Premier ministre de gauche
En cas de chute du gouvernement Bayrou, Emmanuel Macron pourrait être contraint de revoir sa stratégie et de considérer des options jusque-là écartées, notamment la nomination d’un Premier ministre issu de la gauche.
- Pourquoi Macron pourrait être contraint de nommer un Premier ministre issu de la gauche ? Après l’échec d’un Premier ministre de droite (Michel Barnier) et d’un Premier ministre centriste (François Bayrou), Emmanuel Macron pourrait n’avoir d’autre choix que de se tourner vers un chef de gouvernement issu de la gauche pour tenter de construire une nouvelle majorité. Le Nouveau Front Populaire, bien qu’opposé à la politique présidentielle, dispose d’un poids significatif à l’Assemblée nationale. En nommant un Premier ministre de gauche, E. Macron pourrait espérer apaiser les tensions sociales et politiques tout en donnant des gages à une partie de l’opinion publique critique de sa gestion. Cette décision serait également motivée par une volonté de repositionner son mandat sous une lumière différente, en s’affichant comme un président capable de travailler avec des oppositions, même idéologiquement éloignées. Cependant, le NFP ne disposant pas d’une majorité pleine et entière, ce dernier risquerait de voir son chef de gouvernement cenrusé par une coalition par les partis du centre, de la droite, et par le Rassemblement National, largement majoritaire en coalition « de fait », à l’image de la coalition politique NFP / RN permettant la censure du gouvernement Barnier.
- Les implications politiques d’un gouvernement de gauche pour la fin du quinquennat : une telle décision aurait des conséquences profondes sur l’équilibre politique du quinquennat. Si un Premier ministre de gauche était nommé, cela impliquerait un changement de cap dans les priorités gouvernementales, avec un possible abandon des réformes économiques défendues par Macron et Bayrou, voire un retour en arrière de réformes chères à la majorité présidentielle, telle que la réforme des retraites, qui a pourtant déjà été profondément couteuse politiquement. De plus, cette stratégie comporterait le risque de voir apparaitre une « cohabitation » unique, avec une opposition politique du gouvernement tant face à l’assemblée (où il serait minoritaire) que face au président de la république. Une telle situation risquerait d’entraîner une paralysie encore plus grande de l’exécutif.
En définitive, l’hypothèse d’un Premier ministre de gauche nommé, suite à la chute du gouvernement Bayrou, refléterait la gravité de la crise institutionnelle actuelle et marquerait un tournant historique dans le quinquennat d’Emmanuel Macron, potentiellement annonciateur d’un affaiblissement durable de la Ve République.
Conclusion
La France traverse une période de turbulences institutionnelles où les mécanismes traditionnels de la Ve République sont mis à rude épreuve, et se révèlent parfois inefficaces. La dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024, censée clarifier le paysage politique, a au contraire renforcé les divisions et produit un Parlement fragmenté, où les oppositions dominent et où aucune majorité claire ne peut se dégager. Dans ce contexte inédit, le gouvernement de François Bayrou se heurte à une Assemblée nationale hostile, empêchant toute réforme ambitieuse et exacerbant les tensions politiques.
L’incapacité de dissoudre à nouveau l’Assemblée avant l’été 2025, en vertu de l’article 12 de la Constitution, prive l’exécutif d’un outil essentiel pour rétablir l’équilibre entre le législatif et l’exécutif. Cette situation met en évidence les limites des institutions face à une fragmentation politique croissante, tout en soulignant le risque pesant sur une potentielle 6eme république qui prendrait la forme d’un régime parlementaire, à l’image de la IIIe ou de la IVe République.
La chute du gouvernement Barnier a déjà montré que la stratégie classique, basée sur des compromis parlementaires, ne suffit plus dans un tel environnement. François Bayrou, bien qu’expérimenté et habitué aux défis politiques, fait face à une menace politique et constitutionnelle asymétrique.
Dans ce cadre, le recours au référendum s’impose comme une alternative audacieuse mais probablement nécessaire. Plus qu’un simple outil de consultation populaire, il représente une démarche inscrite dans l’esprit même de la Ve République, imaginée par le général de Gaulle pour surmonter les blocages institutionnels. Le référendum offre une double opportunité : il permet de légitimer directement des réformes auprès des citoyens tout en contournant une Assemblée nationale incapable de s’entendre sur des solutions, tout en outrepassant les alliances politiques improbables, comme il en a été le cas lors de la censure du gouvernement Barnier, votée par une alliance Nouveau Front Populaire / Rassemblement National.
Cependant, cette stratégie n’est pas sans risques. Elle nécessite avant tout l’accord du Président de la République, dont le rôle d’arbitre en la matière est déterminant. En validant un référendum, le Président prendrait un risque politique majeur, car un rejet populaire affaiblirait autant le gouvernement Bayrou que sa propre autorité. E. Macron pourrait également percevoir cette initiative comme un moyen pour F. Bayrou de s’imposer politiquement, risquant ainsi de marginaliser son rôle dans l’exécutif, tout comme son parti dans les prochaines élections présidentielles. Ces considérations mettent en lumière les tensions potentielles au sommet de l’État, où la relation entre le président et son Premier ministre devient cruciale, mais également l’existence d’un « centre politique bicéphale », dans lequel « MoDem » et « En Marche » donnent actuellement l’illusion d’une « cohabitation centriste » à la tête de l’Etat.
D’un autre côté, dans l’hypothèse où Emmanuel Macron refuse un référendum proposé par le gouvernement, les conséquences pourraient être désastreuses pour François Bayrou. Isolé politiquement, il serait contraint de naviguer dans un Parlement hostile sans le soutien populaire que pourrait lui offrir une consultation référendaire. Le moindre projet de Loi soumis à l’Assemblée nationale se transformerait en vote sanction et ferait l’objet d’une nouvelle motion de censure, inévitable dans un tel scénario, aboutissant irrémédiablement à sa chute, et renforçant l’impression d’un exécutif paralysé. Pour le Président Macron, ce refus signifierait également un affaiblissement durable de sa présidence. La perte successive de deux Premiers ministres – Barnier puis Bayrou – serait perçue comme un aveu d’impuissance face aux blocages institutionnels.
L’hypothèse d’un Premier ministre issu de la gauche, bien que jusqu’ici écartée, deviendrait alors plausible. Après l’échec des approches de droite et du centre, Macron pourrait être contraint de tendre la main au Nouveau Front Populaire pour tenter de construire une majorité plus cohérente. Une telle décision marquerait un tournant historique, redéfinissant non seulement le quinquennat d’Emmanuel Macron, mais aussi les équilibres institutionnels de la Ve République. Cela poserait toutefois des défis considérables : une cohabitation informelle entre un président libéral et un Premier ministre de gauche risquerait d’aggraver les tensions au sommet de l’État, tout en accentuant la polarisation politique dans le pays.
Au-delà de ces considérations immédiates, le recours au référendum pose une question plus large sur l’avenir de la Ve République. Alors que les blocages institutionnels se multiplient et que la défiance envers les élites politiques s’intensifie, cet outil pourrait redevenir central dans une démocratie en quête de solutions. En redonnant la parole au peuple, il offre une voie pour transcender les divisions partisanes et rétablir la confiance entre les citoyens et leurs dirigeants.
Toutefois, l’histoire montre que le référendum est une arme à double tranchant. Bien qu’il puisse légitimer des réformes cruciales, il comporte également des risques importants pour ceux qui l’initient. Le précédent de 1969, où le rejet du référendum conduisit à la démission du général de Gaulle, reste un rappel des limites de cet outil. François Bayrou doit donc peser avec soin les implications politiques et stratégiques d’une telle démarche, tout en offrant à Emmanuel Macron un recul présidentiel tel qu’il est offert par la constitution de la Ve. Le Premier Ministre devrait alors jouer pleinement son rôle de « paratonnerre » politique envers le Président, qui n’interviendrait qu’en tant qu’arbitre. En cela, l’exemple de jacques Chirac lors du referendum de 2005 sur l’Union Européenne pourrait être repris. Au préalable, mettre l’accent sur l’existence d’une forme de « cohabitation centriste » entre le F. Bayrou et E. Macron à la tête de l’Etat permettrait, probablement, de mettre à l’abri ce dernier de la sanction politique, quitte à ce que ce dernier accepte le referendum tout en communiquant sur son opposition « de principe » à la question posée. Encore faudrait-il qu’une telle posture ne conduise pas à un rejet du gouvernement Bayrou en provenance de la base électorale macroniste.
En définitive, le référendum, bien qu’il s’agisse d’un pari risqué, pourrait se révéler être la clé d’une gouvernance possible pour François Bayrou, de la bonne continuité du quinquennat d’Emmanuel Macron, et potentiellement de la survie de la Ve République. En consultant directement les Français, il ne ferait pas seulement un choix institutionnel : il engagerait une dynamique de réconciliation entre le peuple et ses institutions. Si cette stratégie réussit, elle pourrait redonner un élan non seulement à la gouvernance actuelle, mais aussi à l’ensemble du système politique français. Si elle échoue, elle marquera peut-être un tournant décisif, annonçant des réformes plus profondes pour adapter la Ve République aux défis du XXIᵉ siècle. Le référendum, dans sa capacité à rallier ou à diviser, reste au cœur de cette réflexion sur l’avenir de la démocratie en France.
Auteur de la publication:

Adrien MANNIEZ
Docteur en Science Politique
Chercheur politiques publiques, analyse de l'Etat, relations internationales et des politiques de défense.
Consultant et conférencier, il est également fondateur de l'institut InSight.