Le vote de confiance de François Bayrou a donc été rejeté par l’Assemblée Nationale. Echec pourtant annoncé de longue date, il surprend tout d’abord car jusqu’ici aucun gouvernement n’avait jamais été « renversé » par un vote de confiance dans toute l’histoire de la Ve république. Même si, « de jure », il n’est pas véritablement destitué, la pratique politique l’oblige « de fait » à remettre la démission de son gouvernement au Président de la République Emmanuel Macron. Et maintenant ?
En théorie, la censure du gouvernement, pouvoir fort dont dispose l’Assemblée Nationale, emporte la mise en application par le Président d’un contrepouvoir tout aussi puissant, celui de la dissolution. Renvoyant les députés face à leurs électeurs, ainsi qu’à leurs responsabilités. Cependant et depuis plusieurs semaines déjà, experts, constitutionnalistes, et partis politiques évoquent autant qu’ils le peuvent que la dissolution ne serait pas la solution pour régler cette crise politique. Et les chiffres semblent leur donner raison, puisqu’à en croire les récents sondages, une réélection de l’Assemblée conduirait à peu près aux mêmes résultats (ou presque) qu’en 2024 et 2022, à savoir une absence de majorité absolue. Au mieux la majorité relative reviendrait au Rassemblement National, voire au Nouveau Front Populaire en cas de « barrage républicain », sans qu’ils ne puissent véritablement gouverner, du fait de l’épée de Damoclès qui pèserait constamment sur eux. D’autant qu’à l’aube du vote pour le budget 2026, une telle situation semble à la fois inédite, et insoutenable pour un quelconque gouvernement, quand bien même il serait constitué d’une coalition de partis politiques compatibles. Dans cet environnement hostile, sans doute la moindre réforme envisagée pour assainir le budget français conduirait à une sanction immédiate. Sanction politique bien entendu, par un nouveau renversement de gouvernement, mais également sanction économique.
En effet les marchés risquent de s’emballer et de voir d’un très mauvais œil à la fois la paralysie française dans le vote de son budget, mais aussi finir par se méfier de sa capacité à éponger sa dette publique. Ce qui conduirait de manière quasi automatique à une augmentation des taux d’intérêts, et une baisse de la notation dans la capacité d’emprunt de la France. Ainsi la solution la plus simple pour le futur gouvernement serait, sans nul doute, de ne rien toucher au budget 2025 et le reconduire automatiquement en 2026 par décret. Solution qui a déjà été appliquée par le gouvernement Bayrou en décembre de l’an dernier, après l’échec cuisant de Michel Barnier dans sa tentative vaine de faire voter un budget assaini.
Quelles solutions entrevoir ? Et bien après avoir nommé un Premier Ministre LR (Les Républicains), Emmanuel Macron avait fait le choix du Soldat Bayrou (MoDem), ce qui nous conduit depuis 10 mois à une bizarrerie à nouveau inédite dans l’histoire de la Ve République, à savoir une « cohabitation centriste » entre deux hommes à la même tendance, mais de partis différents. En effet, d’entrée de jeu le Président et le Premier Ministre fraichement nommé ont partagé vigoureusement leurs divergences politiques par déclarations interposées. Désormais tombé au champ d’honneur, après une charge suicidaire dans cette guerre des tranchées politiques, le Soldat Bayrou devait (selon certains responsables politiques) laisser sa place à un nouveau chef de gouvernement à tendance socialiste cette fois. Le nom d’Olivier Faure a d’ailleurs pu être évoqué. Et pourtant ce dernier aurait été lui aussi confronté aux mêmes difficultés à gouverner, faute de majorité absolue. D’autant plus lorsque l’on sait désormais que le torchon brule entre le PS et La France Insoumise (LFI), rendant difficile voire impossible une entente entre les deux entités. Le Président Macron a de toute évidence tranché cette question, en nommant Sébastien Lecornu, actuel ministre de la défense, qui semble disposer de toute la confiance du chef de l’Etat.
Quid du retour au vote ? Lors de la chute du gouvernement Barnier, cette solution était impossible à mettre en œuvre, puisqu’une dissolution de l’Assemblée ne peut avoir lieu dans l’année qui suit une précédente dissolution. Ce délai est aujourd’hui passé, et le Président de la République aurait pu déclencher son pouvoir constitutionnel, tout en connaissant les risques que nous évoquions plus haut. Ce qui aurait, par la même occasion, potentiellement eu pour effet d’affaiblir une fois de plus son pouvoir, et son image. Certains demandant déjà (comme en 2024 d’ailleurs) sa démission.
Et pourtant, il va bien falloir gouverner cette France qui semble totalement divisée, à l’image de sa représentation nationale. Combien de temps le gouvernement de Lecornu tiendra ? L’on pourrait imaginer que les partis politiques s’entendent sur une nouvelle censure, soit durant un vote de confiance auquel se soumettrait le nouveau premier ministre, soit à l’occasion du premier projet de Loi proposé par ce dernier, dont le budget 2026 pour la France. Il est d’ailleurs légitime de se demander jusqu’à quel point le Président de la République ne garderait pas en réserve la carte de la dissolution, afin de dissuader les députés de sanctionner son nouveau chef de gouvernement. Mais alors quoi faire pour que ce gouvernement tienne et soit en mesure de faire voter la Loi de Finance 2026, sans s’exposer à la censure ?
A
situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle. Face à une Assemblée qui se déclare
« représentative » depuis plus d’un an, mais qui reste pour autant
incapable de s’entendre sur la constitution d’un gouvernement et d’une
politique commune, le recours au referendum semble nécessaire. Peu importe le nom du nouveau premier ministre
nommé par Emmanuel Macron, ou du prochain qui pourrait le remplacer rapidement,
ils ne parviendront pas à réformer le pays et son budget, pas plus qu’ils ne
pourront résister à un quelconque vote de confiance, ou une motion de censure, en
faisant face à des députés profondément hostiles. Il faut donc proposer au
français un référendum, autour d’une question, ou d’un consortium de questions
simples et courtes, telles que : « êtes-vous pour la volonté du
gouvernement de réduire le déficit public ? ». Par cette action,
le Président et le nouveau chef de gouvernement pourront alors contourner cette
Assemblée en redonnant la voix au peuple, sans passer par la dissolution. La question
de l’abaissement ou l’augmentation de la dette publique ne pourra plus être accaparée
par des partis politiques, qui visent le clientélisme de leurs bases
électorales, mais par le peuple de France qui sera renvoyé devant sa
responsabilité d’électeur et d’ultime souverain. Dans l’hypothèse où le
« oui » l’emporterait, le gouvernement aurait réussi son « vote
de confiance populaire », contournant ainsi par un acte de démocratie
directe la sanction d’une Assemblée devenue ingouvernable. Il semble en effet difficile
voire impossible d’imaginer un seul instant que le Parlement vienne s’opposer à
la volonté du peuple exprimée par voie référendaire, en censurant un
gouvernement adoubé dans son projet de réforme. Ainsi le futur gouvernement, dans
sa quête de l’abaissement nécessaire de la dette publique, remettrait-il au
gout du jour la manœuvre politique du Général de Gaulle dans son combat face au
Sénat, pour permettre l’élection du Président de la République via le suffrage
universel direct en 1962.
Auteur de la publication:
Adrien MANNIEZ
Docteur en Science Politique
Chercheur politiques publiques, analyse de l'Etat, relations internationales et des politiques de défense.
Consultant et conférencier, il est également fondateur de l'institut InSight.